Geraldine Coon

Geraldine Coon (1913−2008) Mathématicienne appliquée américaine du Connecticut, elle fut tour à tour mathématicienne en industrie, professeure associée à la University of Connecticut avant de terminer sa carrière comme professeure au Goucher College.

par Alexis Langlois-Rémillard

Elle promut l’utilisation de l’ordinateur comme outil conventionnel pour les mathématicien·ne·s, étudia les équations aux dérivées partielles et se battit pour l’accès des femmes à l’éducation supérieure.

Biographie

Geraldine Alma Coon, connue comme Jerry Coon, naquit au Connecticut dans le petit village de North Stonington le 13 septembre 1913 et mourut à Pawcatuck le 26 août 2008. Elle découvrit son intérêt pour les mathématiques lorsque son enseignant introduisit les rudiments de l’algèbre. Après l’école secondaire, elle suivit les cours au Connecticut College for Women (renommé le Connecticut College en 1969 quand il devint mixte) à New London. Ce fut après avoir suivi un cours par correspondance de la University of Chicago, en plus de travailler à la librairie de son village et de faire chaque jour les 30 kilomètres la séparant du collège, qu’elle décida de poursuivre ses études en mathématiques. Elle obtint son baccalauréat en 1935, seconde de sa promotion, et poursuivit des études graduées à la Brown University. Seulement cinq femmes étudiaient les mathématiques à l’époque et elles décidèrent toutes d’habiter ensemble. Cela lui permit de rencontrer Dorothy Lewis Bernstein (1914-1988), celle qui fut plus tard sa directrice de thèse, sa collègue et sa compagne de vie. 

Coon obtint sa maîtrise en 1937 et suivit par la suite des cours en affaires. En 1939, elle se vit engager comme instructrice de mathématiques élémentaires pour une manufacture, où elle enseigna les rudiments de trigonométrie et d’arithmétique aux nouveaux employés qui n’avaient souvent pas eu beaucoup de scolarité. Elle devint ensuite mathématicienne industrielle en 1944 à la Taylor Instrument Companies à Rochester, New York, la seule femme de la division d’ingénierie. Elle y resta 14 ans, y publia plusieurs articles en théorie du contrôle et collabora à un livre sur le sujet. Tout en travaillant à temps plein, elle effectua ses cours gradués pour obtenir son doctorat sous la direction de Dorothy Bernstein à la University of Rochester. Sa thèse de doctorat, The Double Laplace Transform and Its Application to Partial Differential Equations, défendue avec succès en 1950, portait sur les propriétés de la double transformation de Laplace. Cette transformation est très utile pour obtenir les propriétés des solutions d’équations aux dérivées partielles et son étude comporte des difficultés bien plus grandes que la transformation de Laplace classique en une variable. Les résultats de sa thèse furent publiés dans le prestigieux journal Transaction of the American Mathematical Society, et elle continua ses travaux dans le domaine avec Dorothy Lewis durant une dizaine d’années, se soldant par deux autres publications. Plusieurs des résultats de Bernstein et Coon furent redécouverts indépendamment par l’école soviétique dans les années 70-80.

En 1958, elle prit un poste de professeure assistante à la University of Connecticut. Son expérience en industrie façonnait sa pensée, ce qui lui permit de devenir l’une des pionnières de l’enseignement de l’analyse numérique avec des laboratoires informatiques pour les élèves. Elle donna à cette université, dès son arrivée, un des tous premiers cours au monde où les élèves de baccalauréat pouvaient utiliser un ordinateur. À la suite de sa promotion comme professeure associée, un total de seulement trois femmes étaient en poste sur les 800 membres de la faculté à son université. Si le nombre de professeures restait minuscule, les étudiantes aux études supérieures, elles, arrivaient en masse dans les années 60 aux États-Unis. Leur nombre d’applications surpassa même celui des hommes en 1964, et la réaction de l’université fut implacable : sous prétexte qu’il était plus nécessaire d’éduquer les hommes que les femmes, puisque ceux-ci étaient vus comme les pourvoyeurs des familles, l’université décida que le nombre de femmes acceptées ne pouvait pas dépasser celui des hommes pour les deux prochaines années.

Ayant toujours défendue le droit des femmes à l’éducation et ne voyant pas ses valeurs représentées par son université, Coon quitta avec regret sa position pour se dédier à l’enseignement des femmes au Goucher College (un collège pour femmes de 1885-1986, puis mixte à partir de 1986) et y rejoignit Dorothy Bernstein. Elle y continua sa vocation d’éducatrice et changea profondément le programme de mathématiques du collège, notamment en y introduisant une option de sciences informatiques. 

Elle fut la détentrice de plusieurs subventions de la National Science Foundation, tant pour sa recherche que pour la modernisation de l’équipement informatique du Goucher College. Elle s’impliqua aussi dans le comité exécutif de sa section de la Mathematical Association of America de 1969 à 1976. Elle prit sa retraite du collège en 1980 et se retira au Connecticut avec sa compagne Dorothy Bernstein. Elle enseigna tout de même en 1981 un dernier semestre pour aider la University of Connecticut avant de prendre sa véritable retraite. Elle mourut en 2008, vingt ans après Dorothy Bernstein.

Capsule mathématique : la transformation de Laplace

La transformation de Laplace est un outil mathématique important en analyse des équations différentielles nommé en l’honneur du marquis Pierre-Simon de Laplace, qui l’utilisa dans ses travaux de mécanique céleste et de probabilités. 

La transformation de Laplace est un opérateur sur les espaces de fonctions, c’est-à-dire qu’elle envoie une fonction sur une autre fonction. Elle est définie par

f \mapsto \mathcal{L} f  , où \mathcal{L}f(p) = \int_{0}^{\infty} f(t) e^{-pt}  dt

et le résultat \mathcal{L}f  est appelé la transformée de Laplace.

 
Attention, pas toutes les fonctions admettent une transformée de Laplace, mais la classe de fonctions en admettant une est très grande, par exemple, toute fonction continue par morceaux et d’ordre exponentiel en admet une. La continuité par morceaux veut dire qu’elle est continue sur des intervalles, mais admet des « brisures » entre ceux-ci, et avoir un ordre exponentiel se traduit par la condition que |f(x)| \leq M e^{cx} pour des constantes M et c  .

D’énormes tables de telles transformées ont été compilées depuis Laplace ; en voici quelques-unes.

f(x) = 1  \mathcal{L}f(p) = 1/p
f(x) = x  \mathcal{L}f(p) = 1/p^2
f(x)= x^n  \mathcal{L}f(p) = n!/p^{n+1}
f(x) = \sin(ax)  \mathcal{L}f(p) = a/(p^2+a^2)
f(x) = \cos(ax)  \mathcal{L}f(p) = p/(p^2+a^2)
Quelques transformées de Laplace de fonctions communes

La raison principale de l’intérêt pour cet opérateur réside dans ses propriétés, dont en voici les trois principales : 

  • (linéarité) \mathcal{L}[af + bg](p) = a\mathcal{L}f(p) + b\mathcal{L}g(p)  , pour a, b des constantes;
  • (la transformée d’une dérivée) \mathcal{L}f'(p) = p \mathcal{L}f(p) - f(0)  ;
  • (injectivité) si \mathcal{L}f(p) = \mathcal{L}g(p) pour tout p alors f = p  .

Avec seulement celles-ci et une table de transformées, il est possible de résoudre de difficiles problèmes d’équations différentielles. Le principe de base est simple : il suffit d’appliquer la transformation, d’utiliser ses propriétés et de regarder dans les tables de transformées pour avoir la solution.

Prenons un exemple. Soit l’équation différentielle

f''(t) + 4f(t) = 4t\quad f(0) = 1, f'(0)=5,

apparaissant par exemple dans certains problèmes physiques. Pour résoudre l’équation, appliquons des deux côtés de l’équation la transformation de Laplace. Cela donne

\mathcal{L}[f'' + 4 f](p) = \mathcal{L}[4t].

Par linéarité, on obtient

\mathcal{L}[f''] + 4 \mathcal{L}[f](p) = 4\mathcal{L}[t].

Maintenant, appliquons une fois la transformée d’une dérivée et cherchons dans la table la transformée de la fonction t\mapsto t pour obtenir

p \mathcal{L}[f'](p) - f'(0) + 4\mathcal{L}[f](p) = 4/p^2.

Une dernière application de la transformée d’une dérivée donne

p\mathcal{L}[f](p) - pf(0) - f'(0) + 4\mathcal{L}[f](p) = 4/p^2.

Finalement, utilisons les conditions initiales et factorisons pour avoir

\mathcal{L}[f](p) = ( 4/p^2 - p - 5)/(p^2+4).

En réarrangeant les termes à droite, on a 

\mathcal{L}[f](p) = \frac{p}{p^2+4} + 4\frac{4}{p^2+4} + \frac{1}{p^2}.

Et maintenant, il suffit de regarder dans la table et d’appliquer la linéarité pour donner

\begin{aligned} \mathcal{L}[f](p) &= \mathcal{L}[\cos(2t)](p) + \mathcal{L}[2\sin 2t](p) + \mathcal{L}[t](p)\\ &= \mathcal{L}[\cos(2t) + 2\sin(2t) + t](p) \end{aligned}

L’injectivité nous donne maintenant la solution f(t) = \cos(2t) + 2\sin(2t) + t  et il est facile de la tester dans l’équation d’origine. 

Ce petit exemple illustre bien la force de la méthode : on pourrait l’utiliser sans même savoir dériver ou intégrer ! C’est en partie ce qui a tant popularisé la transformation de Laplace, jusqu’à en faire un élément incontournable des écoles d’ingénierie dans les années quarante : des problèmes complexes et longs peuvent être résolus avec une méthode vérifiable et standard. De plus, avec l’introduction de nouvelles technologies comme la radio et les systèmes électroniques, le besoin de résoudre des systèmes complexes d’équations différentielles explose.

Les travaux publiés de Coon portaient sur une généralisation de la transformation de Laplace aux fonctions à deux variables. Elle y posa des conditions de convergence et d’existence et y donna des applications dans l’étude des équations aux dérivées partielles. Dans sa carrière industrielle, elle enseigna au personnel, travailla en théorie du contrôle, résolut des problèmes d’ingénierie avec des méthodes mathématiques et étudia les possibilités d’application des ordinateurs à la résolution de ces problèmes.


Bernstein, Dorothy Lewis, « Bernstein on Coon », Goucher Quarterly Automne 1979 p.19-21, page consultée le 27-07-2020 à https://cdm16235.contentdm.oclc.org/digital/collection/p16235coll16/id/5438/rec/241

University of Texas, « A guide on Geraldine A. Coon paper » page consultée le 27-07-2020 à https://legacy.lib.utexas.edu/taro/utcah/03319/03319-P.html

Williams, Elliot « Describing Queer Mathematicians », blog post 2013 consultée le 27-07-2020 à http://www.elliotdwilliams.com/describing-queer-mathematicians/

https://www.legacy.com/obituaries/thewesterlysun/obituary.aspx?n=geraldine-a-%22jerry%22-coon&pid=116548112&fhid=6910

Boas, R.P. MAA Focus 1988 vol. 8 number 4, September. https://www.maa.org/sites/default/files/pdf/pubs/focus/past_issues/FOCUS_8_4.pdf

Michael A. B. Deakin « The Development of the Laplace Transform, 1737-1937: I. Euler to Spitzer, 1737-1880 » Archive for History of Exact Sciences, 1981, Vol. 25, No. 4 (1981), pp. 343-390

Deakin, Michael AB. « The development of the Laplace transform, 1737–1937 II. Poincaré to Doetsch, 1880–1937. » Archive for History of exact Sciences 26.4 (1982): 351-381.


Articles et livres de Coon :

Coon, Geraldine A., and Dorothy L. Bernstein. « Some general formulas for double Laplace transformations. » Proceedings of the American Mathematical Society 14.1 (1963): 52-59.

Bernstein, Dorothy L., and Geraldine A. Coon. « On the zeros of a class of exponential polynomials. » Journal of Mathematical Analysis and Applications 11 (1965): 205-212.

Coon, Geraldine A., and Dorothy L. Bernstein. « Some properties of the double Laplace transformation. » Transactions of the American Mathematical Society 74.1 (1953): 135-176.

Caldwell, W.I., Coon, G.A., Zoss, L.M., 1959. Frequency response for process control. McGraw-Hill