
Frances Hardcastle (1866-1941) Mathématicienne et suffragiste britannique, elle étudia les mathématiques en Angleterre et aux États-Unis avant de se concentrer entièrement à la cause du droit de vote des femmes.
par Jean-Philippe Chassé
Sa recherche mathématique porta presque entièrement sur la théorie de Brill–Noether en géométrie algébrique.
Biographie
Née en 1866 d’une famille britannique aisée et populeuse, Frances Hardcastle grandit dans un environnement promouvant l’éducation et les sciences. Effectivement, plusieurs membres de sa famille étaient des scientifiques et elle eut droit dès un jeune âge à une éducation privée. C’est lors de ces cours qu’elle développa l’intérêt mathématique qui la mena, en 1888, à entreprendre des études universitaires dans le sujet au Girton College, le premier collège de l’Université de Cambridge accessible aux femmes. Cependant, la politique sexiste de l’université à l’époque l’empêcha d’obtenir un baccalauréat, bien qu’elle eût réussi tous les examens finaux nécessaires.
C’est donc sans diplôme qu’elle traversa en 1893 l’océan Atlantique afin de commencer des études graduées aux États-Unis sous la supervision de la mathématicienne d’origine britannique Charlotte Scott. Durant son séjour, elle ne publia pas d’article, mais traduisit de l’allemand à l’anglais un livre de Felix Klein sur la théorie des fonctions algébriques. C’est aussi lors de ce séjour qu’elle commença à s’impliquer dans divers organismes, quelque chose qui marqua le reste de sa vie. Effectivement, elle fut membre fondatrice de la American Mathematical Society et présidente du club des étudiantes graduées du Bryn Mawr College lorsqu’elle y étudia ; elle représenta même le collège dans diverses conférences. Cependant, après deux ans, le mal du pays lui prit et elle retourna en Angleterre, toujours sans diplôme.
C’est donc au Girton College qu’elle retourna compléter ses études graduées. Elle mit alors à profit toutes ces années d’études en produisant deux articles sur la théorie de Brill-Noether. Elle écrivit également une revue historique détaillée de cette théorie pour la British Association for the Advancement of Science, qui regroupait les plus grand·e·s scientifiques britanniques de l’époque. Sa participation scientifique ne s’arrêta cependant pas aux mathématiques : elle contribua également grandement à la rédaction de A Short Story of Astronomy de Arthur Berry. Ces efforts lui valurent d’ailleurs par deux fois la bourse d’étude Pfeiffer et, finalement, une maîtrise en mathématiques. C’est aussi lors de cette période qu’elle commença son activisme dans le mouvement suffragiste britannique, en particulier en prenant le poste de secrétaire dans la Cambridge Women’s Suffrage Association, puis dans la National Union of Women’s Suffrage Societies à Londres.
Toutefois, en 1907, Frances Hardcastle quitta subitement le milieu académique et décida de se concentrer entièrement à la revendication du droit de vote pour les femmes, ce que lui permettait la fortune familiale dont elle avait hérité. Elle fut notamment secrétaire et trésorière de la North-Eastern Federation of Women’s Suffrage Societies pendant de nombreuses années. C’est également autour de cette période qu’elle déménagea à Newcastle et rencontra son éventuelle compagne, Ethel Williams, première femme médecin de Newcastle et importante figure du mouvement suffragiste britannique. À travers son activisme, le couple contribua à l’éventuelle adoption du suffrage universel par le parlement britannique, concrétisé partiellement en 1918, puis dans sa totalité en 1928. Elles participèrent également à plusieurs efforts pacifistes pendant et après la Grande Guerre, faisant notamment partie de la délégation britannique au IIe Congrès international des femmes pour la paix et la liberté de 1919 à Zürich. Elles prirent éventuellement leur retraite et passèrent leurs derniers jours ensemble dans la maison qu’elles avaient construite dans les environs de Newcastle. Frances Hardcastle mourut en 1941 lors d’une dernière visite à Cambridge.
Capsule mathématique
La recherche mathématique de Frances Hardcastle a eu trait presque entièrement à la théorie de Brill–Noether. Cette dernière s’intéresse aux diviseurs spéciaux sur les courbes algébriques projectives ; expliquons d’abord ces deux termes avant d’expliquer la contribution de Frances Hardcastle.
Tout d’abord, une courbe algébrique projective est un sous-espace du plan projectif complexe défini par le lieu des zéros d’un polynôme homogène à trois variables. Pour que cela ait du sens, il faut se rappeler l’identification
,
où agit sur
par multiplication scalaire. L’espace résultant s’appelle une courbe puisque, dans
, un polynôme définit un sous-espace de dimension complexe un. À toute telle courbe
est associé un entier positif, le genre
; lorsque
se comporte assez bien, cela correspond au genre topologique habituel.
Un diviseur sur une courbe algébrique projective est alors une somme formelle de la forme
pour un certain nombre naturel
, des entiers relatifs
et des points
de
. En termes algébriques, un diviseur sur
est un élément du groupe abélien libre engendré par les points de
. À un diviseur
, nous pouvons associer deux entiers : son degré
et son rang
. Cette seconde quantité est difficile à expliquer sans avoir recours à de la théorie plus avancée, mais le fameux théorème de Riemann-Roch assure que
.
De plus, en un certain sens qui ne sera pas précisé, la plupart des diviseurs dont le degré est au moins égal au genre respectent en fait l’égalité dans l’inégalité ci-haut. Donc, mesure à quel point les points apparaissant dans l’expression d’un diviseur ne sont pas en position générique. Nous dirons alors qu’un diviseur
est spécial si
pour chaque
et
.
Les travaux originaux de Alexander von Brill et Max Noether et de William Kingdon Clifford indiquaient déjà que l’existence d’une famille de diviseurs spéciaux de degré dite linéaire à
paramètres implique l’existence d’une autre telle famille de diviseurs spéciaux de degré
à
paramètres, et que celles-ci respectent entre autres les relations
et
. Le principal résultat de Frances Hardcastle stipule que, lorsque la courbe
a une singularité suffisamment dégénérée, il existe des paires respectant les relations plus fortes
et
.
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